Articles du Militant en français
Le président égyptien
restreint les droits politiques Au milieu de manifestations de masse, les travailleurs
défendent l’espace pour s’organiser
PAR SETH GALINSKY
Depuis le 22 novembre, lorsque le président égyptien Mohamed Morsi a décrété que toutes ses décisions étaient « définitives et contraignantes » jusqu’à ce qu’une nouvelle constitution soit adoptée, des centaines de milliers d’opposants et de partisans de son gouvernement ont participé à des manifestations concurrentes à travers le pays.
Mohamed Morsi, un dirigeant des Frères musulmans, a annoncé le 9 décembre qu’un référendum sur une nouvelle constitution codifiant des restrictions sur les droits démocratiques, les syndicats et la liberté de culte, aurait lieu le 15 décembre, ignorant les appels d’une série de partis d’opposition bourgeois et de nombreux syndicats pour que le vote soit reporté. Mohamed Morsi a déclaré qu’il avait autorisé l’armée à arrêter des civils pour maintenir « l’ordre public » jusqu’à ce que le vote soit terminé.
Mohamed Morsi a également modifié le décret stipulant que ses décisions ont force de loi et ne peuvent pas être portées en appel devant un tribunal, en affirmant que cela ne s’applique qu’aux « déclarations constitutionnelles. » Quelques jours plus tôt, il avait appelé à un dialogue avec les dirigeants de l’opposition.
Mohamed Morsi a été élu en juin suite à la déposition du dictateur Hosni Moubarak par l’armée en février 2011 après plusieurs semaines de protestations par des centaines de milliers de personnes inspirées par le mouvement qui a renversé la dictature de Ben Ali en Tunisie. Les protestations se sont poursuivies contre le régime militaire qui a remplacé Moubarak au début.
Sous prétexte de consolider la « révolution » et d’empêcher un retour au régime militaire direct, les Frères musulmans — le plus grand parti capitaliste du pays et le mieux organisé — essaient de réduire l’espace que les travailleurs ont conquis au cours de cette lutte.
Dans plusieurs villes, opposants et partisans des mesures se sont affrontés, faisant des morts et des blessés des deux côtés.
Préoccupé par une nouvelle série d’actions de masse à travers le pays, le président Barack Obama a appelé le président égyptien le 6 décembre et a « salué l’appel au dialogue avec l’opposition lancé par Mohamed Morsi, » selon un communiqué de presse de la Maison Blanche. « Il est essentiel pour les dirigeants égyptiens de toutes tendances politiques de mettre de côté leurs différences et de s’entendre sur une façon de faire progresser l’Égypte, » a-t-il dit. Mais les partis d’opposition ont rejeté l’appel à moins que le référendum ne soit reporté.
Bien que le projet de constitution utilise le mot « liberté » 42 fois, il limite la liberté d’expression en interdisant l’outrage aux prophètes ou aux individus. Il contient des dispositions qui sont très largement perçues comme un renforcement de l’application de la charia et qui limitent la liberté de culte. Cela permet le contrôle par l’État des finances de l’église chrétienne copte et l’élimination des protections pour les adeptes de la foi baha’ie. Environ 5,3 pour cent des 80 millions d’Égyptiens sont des chrétiens coptes.
Le projet de constitution compromet également le droit des travailleurs à s’organiser en précisant qu’un seul syndicat est autorisé « par profession. » Depuis le renversement de Moubarak, des centaines de nouveaux syndicats ont été formés, souvent en concurrence directe avec la fédération soutenue par l’État.
Le projet de constitution élimine une clause de l’ancienne constitution qui interdit la discrimination « sur la base du sexe, de l’origine, de la religion et de la foi. »
Poursuivant l’alliance difficile entre les Frères musulmans et le haut commandement militaire, la constitution autorise des procès militaires contre des civils ayant commis « des crimes qui touchent les forces armées » et garde le budget militaire secret. Les hauts responsables de l’armée sont un secteur clé de la classe capitaliste égyptienne. L’armée possède de grandes usines et des fermes, contrôlant entre 20 et 30 pour cent de l’économie du pays.
Les intérêts des travailleurs
« Les décrets du gouvernement ne sont clairement pas dans l’intérêt des travailleurs, » a déclaré au Militant Ibrahim Hamdi, un travailleur d’une usine textile appartenant à l’État à Mahalla El Kubra, lors d’une interview téléphonique le 8 décembre. « C’est pourquoi des milliers d’entre nous avons participé à des manifestations exigeant qu’ils soient abrogés. »Bien que la plupart des travailleurs des ateliers ne soient pas partisans des Frères musulmans, « Nous essayons de discuter avec ceux qui sont avec Morsi, de les rallier, » a-t-il dit.
« Nos principales exigences syndicales portent sur la sécurité au travail et des investissements publics pour remettre les machines en marche et ainsi embaucher plus de travailleurs, » a ajouté Ibrahim Hamdi, notant en passant que des milliers de travailleurs ont perdu leurs emplois au cours des dernières années.
« La constitution dit que les femmes doivent être protégées et ceci est vraiment inquiétant, » a dit au Militant Alea Murad, une jeune diplômée collégiale qui travaille dans une université au Caire. « Je suis une musulmane pratiquante mais les Frères déforment certains textes religieux pour les interpréter à leur manière. Ils veulent ramener des lois faisant qu’un mari peut décider si sa femme peut travailler ou non, si elle peut s’inscrire à l’université ou si elle peut voyager. Comme si ça ne suffisait pas que nous n’avons pas accès à beaucoup de domaines d’emplois. »
Alea Murad a dit que certains de ses proches, beaucoup d’ingénieurs ou de professeurs, sont partisans des Frères musulmans. « Avant que Mohamed Morsi soit élu, nous parlions beaucoup de nos désaccords, la discussion était plus acceptable. Mais maintenant, ses partisans deviennent de plus en plus haineux, » a-t-elle dit.
Le Front du salut national qui a été formé pour s’opposer aux mesures de Mohamed Morsi est dominé par des politiciens capitalistes. Il est dirigé par Mohamed el Baradei, l’ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, organe de l’ONU, et dirigeant du Parti constitutionnel ; Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et à une certaine époque le ministre des Affaires étrangères de Moubarak; Al-Sayed al Badawy, le chef du Parti Wafd qui a joué le rôle d’opposition loyale durant le régime de Moubarak; et Hamden Sabbahi, le chef du Courant populaire nassériste.
Le front inclut aussi plusieurs groupes sociaux-démocrates et radicaux de la classe moyenne, incluant Al-Tagammu, le Parti d’alliance populaire socialiste et le Parti social-démocrate.
Le haut commandement militaire a essayé de se prétendre au-dessus de la mêlée. « Nous soutenons l’appel à un dialogue national pour atteindre un consensus qui unira tous les segments de la nation, » a déclaré le porte-parole des forces armées Ahmed Mohamed Ali le 8 décembre. « Les forces armées ont toujours assuré la sécurité de la nation et de son peuple. »
Depuis qu’il a pris le pouvoir, Mohamed Morsi a maintenu plusieurs des politiques issues autant de Moubarak que du régime militaire intérimaire qui a lui succédé immédiatement après sa chute. Et comme ses prédécesseurs, il a appelé les travailleurs à cesser de faire grève pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail.
Les Frères appuient l’austérité du FMI
Le premier ministre égyptien Hisham Kandil a entamé des négociations avec le Fonds monétaire international à propos des conditions d’un prêt de 4,8 milliards de dollars que le gouvernement de Mohamed Morsi a demandé afin d’atténuer les effets de la crise économique, incluant une baisse importante du tourisme et des investissements étrangers ainsi qu’un déficit budgétaire estimé à 27,5 milliards de dollars.Selon les termes de l’accord, le gouvernement a déjà commencé à réduire les subventions pour le gaz de cuisine et l’électricité et planifie d’en réduire plus, y compris pour la nourriture. « Nous avons besoin de faire cela graduellement pour s’assurer que cela peut réussir, » a dit Hisham Kandil au Financial Times de Londres en octobre. « Il n’y a pas de bon moment pour implanter un programme de réformes. »
Le 9 décembre, Mohamed Morsi a annoncé qu’il imposait de nouvelles taxes sur les boissons gazeuses, la bière, les cigarettes, les services de téléphone cellulaire, l’huile de cuisine, les fertilisants et les pesticides dans la perspective d’obtenir le prêt du FMI. Plus tard dans la soirée, il annonçait que ces mesures étaient suspendues « jusqu’à ce que le niveau d’acceptation publique soit clair. »
« Morsi n’a plus de légitimité, » a dit par téléphone Gamal Abu’l Oula Hassamin, directeur du Centre pour les syndicats de métiers et les services aux travailleurs qui aide les travailleurs à s’organiser à Mahalla. « Les travailleurs des ateliers, les autres travailleurs et les résidents du quartier discutent de ce qu’il faut faire. »
Georges Mehrabian à Athènes, en Grèce, a contribué à cet article.
(front page)
Egyptian president moves to restrict political rights Amid mass protests, workers defend space to organize AP Photo/Petr David Josek Dec. 9 protest at presidential palace in Cairo against draft constitution pushed by Egyptian President Mohamed Morsi that restricts democratic rights, unions and freedom of worship. BY SETH GALINSKY Since Nov. 22 when Egyptian President Mohamed Morsi decreed that all his decisions are “final and binding” until a new constitution is passed, hundreds of thousands of opponents and supporters of his government have joined competing demonstrations across the country. Morsi, a leader of the Muslim Brotherhood, announced Dec. 9 that a referendum on a new constitution—which codifies restrictions on democratic rights, unions and freedom of worship—will take place Dec. 15, pushing aside calls to postpone the vote from a range of bourgeois opposition parties and many trade unions. Morsi said he had authorized the army to arrest civilians to maintain “public order” until the vote is over. Morsi also modified the decree that his decisions are law and cannot be appealed in court, saying that this only applies to “constitutional declarations.” A few days earlier he called for a dialogue with opposition leaders. Morsi was elected in June following the military’s removal of dictator Hosni Mubarak in February 2011 after several weeks of protests by hundreds of thousands, inspired by the movement that overthrew the Ben Ali dictatorship in Tunisia. Protests continued against the military regime that at first took Mubarak’s place. Under the guise of consolidating the “revolution” and preventing a return of direct military rule, the Muslim Brotherhood—the largest and best organized capitalist party in the country—is moving to close down space working people won in the course of that struggle. In several cities opponents and supporters of the measures have clashed, with dead and wounded reported on both sides. Concerned about provoking another round of mass actions in the country, President Barack Obama called the Egyptian president Dec. 6 and “welcomed Morsi’s call for a dialogue with the opposition,” according to a White House press release. “It is essential for Egyptian leaders across the political spectrum to put aside their differences and come together to agree on a path that will move Egypt forward,” he said. But opposition parties rejected the call, unless the referendum was postponed. Although the draft constitution uses the word “freedom” 42 times, it limits free speech through prohibitions on insulting prophets or individuals. It includes provisions widely viewed as tightening the application of sharia law and limiting freedom of worship, allowing state control of the finances of the Coptic Christian church and eliminating protections for followers of the Baha’i faith. About 5.3 percent of Egypt’s 80 million people are Coptic Christians. It also undermines workers’ right to organize by specifying that only one union is allowed “per profession.” Since the removal of Mubarak, hundreds of new unions have been formed, often in direct competition with the state-backed federation. The draft eliminates a clause from the old constitution that prohibited discrimination “on the basis of sex, origin, religion and creed.” Continuing the uneasy alliance between the Muslim Brotherhood and the military high command, the constitution allows military trials for civilians “for crimes that affect the armed forces” and keeps secret the military budget. High-ranking army officials are a key section of Egypt’s capitalist class. The military owns large factories and farms, controlling between 20 and 30 percent of the country’s economy. Interests of workers “The government decrees are clearly not in the interests of workers,” Ibraham Hamdi, a worker at a state-owned textile mill in Mahalla El Kubra told the Militant in a Dec. 8 phone interview. “That is why thousands of us have participated in demonstrations demanding they be repealed.” While most workers in the mills are not supporters of the Muslim Brotherhood, “We try to discuss with those that are with Morsi, to win them over,” he said. “Our main union demands revolve around job security and public investments to get the machines working in order to hire more workers,” Hamdi added, noting that thousands of workers have lost their jobs over the last several years. “The constitution says that women are to be protected and that is really worrying,” Alaa Murad, a recent college graduate who works at a university in Cairo, told the Militant. “I am a practicing Muslim, but the Brotherhood twists certain religious texts and interprets them in their own way. They want to bring back laws that a husband can control whether a woman works or not, apply to university or travel without his permission. It’s bad enough already that we don’t have access to a lot of occupations.” Murad said some of her relatives, many engineers or professors, support the Muslim Brotherhood. “Before Morsi was elected, we used to talk about our disagreements, discussion was more acceptable,” she said. “But now his supporters have become more vicious.” The National Salvation Front formed to oppose Morsi’s moves is dominated by capitalist politicians. It is headed by Mohamed el Baradei, former head of the U.N. International Atomic Energy Agency and leader of the Constitution Party; Amr Moussa, former Arab League head and at one time Mubarak’s foreign minister; Al-Sayed al Badawy, head of the Wafd Party, which played the role of a loyal opposition during the Mubarak regime; and Hamden Sabbahi, leader of the Nasserite Popular Current. The front also includes several social democratic and middle class radical groups, including Al-Tagammu, the Socialist Popular Alliance Party and the Social Democratic Party. The military high command has tried to portray itself as above the fray. “We support the call for national dialogue, to reach a consensus that unites all segments of the nation,” Armed Forces spokesperson Ahmed Mohamed Ali stated Dec. 8. “The Armed Forces have always ensured the security and safety of the nation and its people.” Since taking office, Morsi has kept in place many policies both of Mubarak and the interim military regime that immediately followed his ouster. And like his predecessors he has called on workers to stop striking for higher wages and better working conditions. Brotherhood backs IMF austerity Egyptian Prime Minister Hisham Kandil has been negotiating with the International Monetary Fund over the terms of a $4.8 billion loan Morsi’s government has requested to weather the economic crisis, including a sharp drop in tourism and foreign investment and a budget deficit estimated at $27.5 billion. As part of the deal, the government has already begun cuts in subsidies for cooking gas and electricity and plans to cut more, including for food. “We need to do it gradually and to make sure it can succeed,” Kandil told the London Financial Times in October. “There is no good time to implement a reform programme.” On Dec. 9 Morsi announced he was imposing new sales taxes on soft drinks, beer, cigarettes, cellphone services, cooking oil, fertilizers and pesticides as part of getting the IMF loan. Later that night he announced the measures were on hold “until the degree of public acceptance is made clear.” “Morsi no longer has legitimacy,” Gamal Abu’l Oula Hassamin, director of the Center for Trade Union and Workers Services, which helps organize workers in Mahalla, said by phone. “Mill workers, other workers and neighborhood residents are discussing what to do.” Georges Mehrabian in Athens, Greece, contributed to this article. @The Militant Dec. 14, 2012 ___________________