Editorial de Riss, Charlie Hebdo 1231 245 fevrier 2016
L'ÉDITO PAR RISS
CELUI QUI CROYAIT AU LOGICIEL CELUI QUI N'Y CROYAIT PAS
es petits cons qui ont massacré, le 13 novembre 2015 à Paris, ne l'étaient pas tant que ça. Les services de police n'ont toujours pas réussi à décrypter leurs messages codés.
Comment des petites frappes terroristes qui quelques heures après leurs crimes cherchaient des planques, parfois sur des talus d'autoroutes, pouvaient en même temps disposer de technologies si sophistiquées au point de mettre en échec les logiciels hyper¬puissants de décodage des services secrets occidentaux? Ils avaient crypté leurs mails plus efficacement que les Allemands pendant la guerre, dont les messages codés par la fameuse machine Enigma furent pourtant déchiffrés par les Alliés. Les tueurs du 13 novembre 2015 étaient visiblement mieux équipés que la Wehrmacht!
Dans le même temps, un tribunal administratif décide d'abais¬ser à 16 ans l'interdiction du film Salafistes. D'un côté, les isla¬mistes nous cachent efficacement leurs plans avec des codes, de l'autre, on interdit aux futures cibles de regarder ce qu'ils risquent peut-être un jour de subir. On refuse de regarder ces images abo¬minables parce qu'elles sont en réalité banales. Des djihadistes en 4 x 4 rattrapent une voiture et mitraillent ses passagers. La voiture part dans le fossé, c'est fini. Tous morts. Un djihadiste croise un passant dans la rue puis, soudain, sort un pistolet et lui tire une balle dans la tête. C'est fini. Aussi simple que ça. On croit que les tueurs ont dans la tête des plans pour nous zigouiller, aussi difficiles à déchiffrer que leurs messages codés. Mais non. Leur conception du monde ne nécessite pas un ordinateur capable de faire 2 milliards d'opérations à la seconde pour être comprise. Elle se résume à un logiciel de quatre lettres : Dieu. Ces meurtres gratuits d'innocents filmés dans la rue, montrés dans Salafistes, témoignent de leur foi granitique en Dieu qu'ils croient à leurs
côtés. Tuer avec une telle décontraction renforce leur foi. Quand on a tué, on
ne peut plus revenir en arrière. Je tue parce que j'ai la foi. Je tue, donc je crois. Foi et meurtre se nourrissent récipro¬quement dans une relation quasi inces¬tueuse.
Dieu a un avantage: c'est.~~i¬cation facile à télécharger sur votre iPhone, gratuite et qui n'a pas besoin
d'être cryptée. Pourquoi mise-t-on à ce point sur la technologie, sur des ordinateurs surpuissants, pour nous révéler les intentions des tueurs, et nous protéger de leurs plans criminels mystiques? Parce qu'il ne reste plus que ça. Parce que les inteliectuels ont renoncé à contester Dieu, parce que les journalistes fuient dès que son nom est invoqué. Parce que les seules armes pour combattre ce fanatisme religieux, à savoir la rai¬son et l'esprit critique, ont été abandonnées en rase campagne, par lâcheté et par défaitisme. Alors on se tourne vers la technologie en espérant qu'elle réparera les conséquences de notre inconsé¬quence. Mais non, les ordinateurs et les logiciels de décryptage ne nous protégeront pas de cette violence et ne rendront pas le terrain concédé à la religion par les intellectuels.
Un quotidien national nous offre le portrait d'un théologien et imam de 37 ans, présenté comme un croyant réformiste. On apprend que, dès l'âge de 3 ans, il est entré dans une école cora¬nique. Trois ans! D'habitude, quand on fait entrer un gosse de
3 ans dans une secte pour lui faire réciter des phrases sacrées à longueur de journée, on appelle la police. Ici, pas un bruissement d'indignation. Rien. Tout cela est devenu normal. Plus aucun mot pour contester tout ce qui, de près ou de loin, concerne Dieu. La presse s'excite contre l'état d'urgence, contre la police qui n'a pas déjoué les attentats et, en même temps, elle publie des portraits complaisants de mystiques au cerveau lessivé depuis l'âge de 3 ans. Et qu'on ose nous présenter comme réformiste! C'est quoi, être réformiste en 2016 ? Inscrire des gamins dans une école coranique à 4 ans et demi au lieu de 3 ans? Pendant que des journalistes s'émerveillent devant un type formaté depuis l'âge de 3 ans par une école religieuse, l'écrivain algérien Kamel Daoud annonce dans Le Monde qu'il renonce au débat public après avoir été accusé d'islarno¬phobie par des universitaires. Son tort, avoir écrit un texte sur «la misère sexuelle du monde arabe» après les violences de Cologne. Le terrorisme utilise toutes les armes possibles, des bombes, des fusils d'assaut, des messages cryptés, mais aussi l'intimidation. la marginalisation des écrivains et des intellectuels qui essayent de penser autrement. Ces accusations n'ont rien à voir avec un débat d'idées: elles font partie de l'arsenal du terrorisme. Quand cette guerre contre fislamisme sera terminée, il faudra faire les comptes de toutes les lâchetés, les complaisances, les trahisons des intellos et des journalistes qui auront tout fait pour intimider et faire taire les voix contestataires. Et pour cela, il faudra un ordinateur bien plus gros que celui utilisé pour décoder les messages des tueurs de 2015 .•
Les intellectuels
ont renoncé à
contester Dieu, les journalistes fuient dès que son
nom est invoqué.