Voici, copie colle, l'article du Monde du 5 janvier, 2016, p. 16:
Patrick et les frères Kouachi
LE LIVRE DU JOUR
Gaidz Minassian
Il s'appelle Patrick. Il est kiosquier, boulevard Saint-Germain, a Paris, entre Le Flore et les Deux Magots, deux institutions. II y a un an, le 7 janvier 2015, comme chaque
matin, il échange quelques mots avec Wolinski et Cabu, ses deux fidèles clients. Ce jour-la, après une dure journée dans le froid, il rentre chez lui en voiture, Mais, arrive rue de Meaux, dans le 19" arrondissement, sa Clio grise tombe nez a nez avec la C3 noire des frères Kouachi, qui viennent de massacrer la bande de copains de Charlie Hebdo.
«Descends, an a besoin de ta voitures», ordonnent-ils. Patrick obéit et reste au milieu de la rue, réalisant que son chien, Gabin, est couche a l'arrière, Coup du hasard, sa vieille Clio de 15 ans d'age cale quand CherifKouachi prend le volant. Ancien militaire, Patrick garde son calme, ouvre la porte arrière et récupère son chien avant que les frères Kouachi ne poursuivent leur cavale dans son automobile. Dans les rues de Paris, Patrick ne sait pas encore que ceux qui ont braqué sa voiture sont ceux qui ont assassine Cabu et Wolinski, ces clients qui aiment leur kiosquier les journaux et le papier.
La journaliste Anaïs Ginori raconte cette histoire dans son dernier ouvrage. Correspondante à Paris du quotidien italien La Republica, elle venait de s'installer dans le no arrondissement de la capitale avec ses enfants. lronie du sort, elle avait décidée de s'éloigner des théâtres de guerre pour exercer son métier de journaliste dans ce quartier calme. En moins d'un an, elle se retrouve a deux reprises prise au piège de la terreur : en janvier avec la tragédie de Charlie Hebdo, puis en novembre 2015, lors du massacre du Bataclan et des autres attentats dans Paris, a deux pas de chez elle.
SEQUENCES D'HUMANITE SANS PATHOS
Exercice cathartique, ce livre pour le moins singulier embrasse les évènements du 7 janvier a contre pied de la foison d'ouvrages qui paraissent sur ce thème depuis un an. Ici, pas d'enquête policière ni de démonstration d'experts sur les origines de la terreur islamiste ou L’anatomie de la nébuleuse djihadiste. Pas non plus de souci d'exhaustivité, juste un récit subjectifsans volonté de « spectaculariser» les faits. Des séquences d'humanité, des tranches de vie de citoyens lambda comme Patrick ou encore Michel Catalano, le patron de l'imprimerie CTD a Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) ou se sont réfugiés Saïd et Cherif Kouachi avant de tomber sous les balles du RAID.
Le style est sobre, parfois touchant, avec ces petites pointes d'émotion que le regard professionnel de l'auteure a su essaimer sans tomber dans Ie pathos. Car au-delà du retour sur cette journée tragique du 7 janvier, notre consoeur lui donne une épaisseur sociale. Elle voit en Patrick un héros anonyme parmi les derniers défenseurs de la presse écrite a i ‘heure ou son métier est méconnu et en voie de disparition. Elle voit aussi dans cette expérience une métaphore de l'industrie de la presse qui doute de son avenir en dépit de ventes élevées réalisées lors de tragédies nationales comme celles du 7 janvier et 13 novembre. _
Le Kiosquier de Charlie Anaïs Ginori,
Editions des Equateurs, 2016, 184 pages, 15€
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