4/30/2016

Café Maldaner, 68187 Wiesbaden "Le sort de la femme est lié à mon avenir, à l'avenir des miens"

I cite again Kamel Daoud's letter withdrawing himself from journalistic comments after the harsh reply of 12-or-so sociologues at French universities who accused him of "islamophobia" after his letter in Le Monde regarding  the Saint Sylvestre-New Year's harrassment of women in Cologne.

Perhaps I was thinking, while I look for jobs in Germany and visiting this Café in Wiesbaden, how ironic it is that Adam Shatz writes from New York, of Woody Allen's "Cafe Society" fame. 
Le sort de la femme est lié à mon avenir,
  à l'avenir des miens  »
PAR KAMEL DAOUD
c
her ami, j'ai lu avec attention ta lettre, bien sûr. Elle m'a touché par sa générosité et sa lucidité.

Etrangement, ton propos est venu con­forter la décision que j'ai prise au cours des derniers jours. J'y ai surtout retenu l'expression de ton amitié tendre et complice malgré l'inquiétude. je vou­drais cependant répondre.

rai longtemps écrit avec le même es­prit qui ne s'encombre pas des avis d'autrui quand ils sont dominants. Cela m'a donné une liberté de ton, un style peut-être mais aussi une liberté qui était insolence et irresponsabilité ou audace. Ou même naïveté. Certains aimaient cela, d'autres ne pouvaient l'accepter. J'ai taquiné les radicalités et essayé de défendre ma liberté face aux clichés dont j'avais horreur.

J'ai essayé aussi de penser. Par l'article de presse ou la littérature. Pas seule­ment parce que je voulais réussir mais aussi parce que j'avais la terreur de vivre une vie sans sens. Le journalisme, en Al­gérie, durant les années dures m'avait assuré de vivre la métaphore de l'écrit,le mythe de l'expérience,

rai donc écrit souvent, trop, avec fu­reur, colère et amusement. J'ai dit ce que je pensais du sort de la femme dans mon pays, de la liberté, de la religion et d'autres grandes questions qui peuvent nous mener à la prise de consciente, à l'abdication ou à l'intégrisme, selon nos buts dans la vie. Sauf qu'aujourd'hui, avec le succès médiatique, j'ai fini par comprendre deux ou trois choses.

D'abord que nous vivons désormais une époque de sommations. Si on n'est pas d'un côté, on est de l'autre; le texte sur «Cologne» j'en avais écrit une par­tie, celle sur la femme, il y a des années. A l'époque, cela n'a fait réagir personne ou si peu. Aujourd'hui, les temps ont changé: des crispations poussent à in­terpréter et l'interprétation pousse au procès. J'avais écrit cet article et celui du New York Times début janvier; leur suc­cession dans le temps est donc un acci­dent et pas un acharnement de ma part. J'ai écrit poussé par la honte et la colère contre les miens et parce que je vis dans ce pays, dans cette terre. J'y ai dit ma pensée et mon analyse sur un aspect que l'on ne peut cacher sous prétexte de «charité culturelle».

je suis écrivain et je n'écris pas des thè­ses d'universitaire. C'est une émotion aussi. Que des universitaires pétition­nent contre moi aujourd'hui, à cause de ce texte, je trouve cela immoral: parce qu'ils ne vivent pas ma chair ni ma terre, et que je trouve illégitime sinon scandaleux que certains me pronon­cent coupable d'islamophobie depuis des capitales occidentales et leurs ter­rasses de café où règnent le confort et la sécurité. Le tout servi en forme de pro­cès stalinien et avec le préjugé du spé­cialiste: je sermonne un indigène parce que je parle mieux que lui des intérêts des autres indigènes et postdécolonisés. Cela m'est intolérable comme posture. je pense que cela reste immoral de m'of­frir en pâture à la haine locale sous le

verdict d'islamophobie qui sert aujourd'hui aussi d'inquisition. je pense que c'est honteux de m'accuser de cela en restant bien loin de mon quotidien et celui des miens. a

L'islam est une belle religion selon l'homme qui la porte, mais j'aime que les religions soient un chemin vers un dieu et qu'y résonnent les pas d'un homme qui marche. Ces pétitionnaires embusqués ne mesurent pas la consé­quence de leurs actes sur la vie d'autrui.

Cher ami, j'ai compris aussi que l'épo­que est dure. Comme autrefois l'écrivain venu du froid, aujourd'hui l'écrivain venu du monde dit «arabe» est piégé, sommé, poussé dans le dos et repoussé. La surinterprétation le guette et les mé­dias le harcèlent pour conforter qui une vision, qui un rejet et un déni. Le sort de la femme est lié à mon avenir, à l'avenir des miens. Le désir est malade dans nos terres et le corps est encerclé. Cela, on ne peut pas le nier et je dois le dire et le dé­noncer. Mais je me retrouve soudaine­ment responsable de ce qui va être lu se­lon les terres et les airs. Dénoncer la thé­ocratie ambiante chez nous devient un argument d'islamophobe ailleurs.

Est-ce ma faute? En partie. Mais c'est aussi la faute de notre époque. C'est ce qui s'est passé pour la tribune sur « Colo­gne». je l'assume mais je me trouve dé­solé pour ce à quoi elle peut servir comme déni d'humanité de l'Autre. L'écrivain venu des terres d'Allah se trouve aujourd'hui au centre de sollici­tations médiatiques intolérables. je n'y peux rien mais je peux m'en soustraire: par la prudence, comme je l'ai cru, mais aussi par le silence comme je le choisis désormais.

je vais donc m'occuper de littérature et, en cela, tu as raison. J'arrête le journa­lisme sous peu. je vais aller écouter des arbres ou des cœurs. Lire. Restaurer en moi la confiance et la quiétude. Explo­rer. Non pas abdiquer, mais aller plus loin que le jeu de vagues et des médias. je me résous à creuser et non déclamer.

J'ai pour ma terre l'affection du désen­chanté. Un amour secret et fort. Une passion. J'aime les miens .et les cieux que j'essaye de déchiffrer dans les livres et avec l'œil la nuit. je rêve de puissance, de souveraineté pour les miens, de cons­cience et de partage. Cela me déçoit de ne pas vivre ce rêve. Cela me met en co­lère ou me pousse au châtiment amou­reux. je ne hais pas les miens, ni l'homme en l'autre. je n'insulte pas les raisons d'autrui. Mais j'exerce mon droit d'être libre. Ce droit a été mal interprété, sollicité, malmené ou jugé. Aujourd'hui, je veux aussi la liberté de faire autre chose. Mille excuses si j'ai déçu, un mo­ment, ton amitié cher Adam.

Et si je rends publique cette lettre aujourd'hui, c'est parce qu'elle s'adresse aux gens affectueux de bonne foi comme toi.Et surtout à toi. •
                        Created by Readiris, Copyright IRIS 2009
Created by Readiris, Copyright IRIS 2009
un écrivain /1 est lauréat du prix
du premier roman                pour« Meursoui',
(OI")trE'-f'11n1J!PtP " (Actes Sud, 2014)

                        Created by Readiris, Copyright IRIS 2009
Created by Readiris, Copyright IRIS 2009

Aucun commentaire: